lundi 30 décembre 2013

Le loup de Wall Street. Scorsese égal à lui-même : bénédiction ou malédiction ? Impressions rapides.

Le Loup de Wall Street, le dernier film de Martin Scorsese, évoque, comme son titre l'indique, l'ascension fulgurante d'un trader ambitieux dans les années 80. Incarné par Léonardo Di Caprio, le jeune loup ambitieux tutoiera les sommets jusqu'à la chute - chute finalement pas si terrible que cela.
Disons-le tout net : le film n'est pas véritablement mauvais. Il est "fun", coloré, survolté, avec des scènes parfois hilarantes, des dialogues du même acabit, il nous plonge pendant trois heures dans une ambiance quasiment baroque, avec ses excès, ses furies, ses passions. Le problème est qu'il s'agit d'un film archétypal : un film de Scorsese avant toute chose ; le film, finalement, que l'on attendait de Scorsese, qu'il nous livre, sans surprise. Scorsese fait ce film sur la bourse comme il l'a fait sur un casino, comme il l'a fait sur la mafia, sur les truands, appliquant une recette éprouvée qui finit par lasser. 



Les films de Martin Scorsese ne sont pas réellement des documents : ils ne décrivent pas des milieux de manière naturaliste. Qu'il s'agisse du casino, de la mafia, des truands, le cinéaste livre toujours des partitions grandioses - que j'appellerais moi grandiloquentes, dans le mauvais sens du terme -, fantasmatiques, avec toujours une fascination intense pour ses sujets, et notamment une prédilection pour les ascensions suivies d'une chute. Ainsi, bien qu'il soit inspiré de la vie et de l'oeuvre littéraire d'un véritable trader, Jordan Belfort (dont Léonardo Di Caprio hérite du nom dans le film), qui a véritablement connu l'ascension et la chute, le film ne prétend pas raconter une histoire vraie - et se dispense, heureusement, de l'ignominieux carton "inspiré de faits réels", ou "inspiré d'une histoire vraie" qui marque de son empreinte nauséabonde un trop grand nombre de films. Il ne faut donc pas s'attendre à un film "réaliste", et ne pas juger ce film à l'aune de ce supposé réalisme que l'on pourrait croire devoir attendre de l'oeuvre. Ce n'est pas l'objet.
Il n'en reste pas moins que ce film est finalement vide : les personnages ne sont que des archétypes, dont, à part l'hybris démesurée, on ne connait rien ; ils ne sont que des coquilles vides, des projections en trois dimensions, ne se mouvant que pour résoudre des besoins essentiels - gagner de l'argent, ingérer des drogues et baiser semblant constituer la trinité ontologique des personnages des films de Scorsese -. Il n'y a aucun enjeu dans le film, aucune tension d'aucune sorte, qu'elle soit morale, scénaristique,  ou cinématographique. Le film n'est qu'une grande farce, un grand-guignol indécrottablement stéréotypé et superficiel. 

A ce niveau, la comparaison avec le Wall Street d'Oliver Stone, tourné en 1987, est éloquente : Oliver Stone, sur la même thématique, l'argent, le pouvoir, la démesure, l'ascension, la chute, parvient à construire des personnages, des tensions, qui parfois ne se résolvent pas ; tout n'y est pas que furie et tempête, à l'inverse du Loup de Wall Street, qui est un monolithe, un bolide lancé à toute vitesse. Et même si la fin du film d'Oliver Stone peut être décevante, le film permet au spectateur de sentir des personnages, des sentiments s'incarner, lui permettant de ressentir autre chose que de l'excitation et une montée d'adrénaline devant des images. 




C'est aussi ce qui peut déranger chez Scorsese : la fascination qu'il a pour ses sujets, et la mythologie qu'il créé à partir d'eux : mythologie du gangster, du mafieux, du pouvoir, mythologie qu'il n'interroge pas. On ne peut nier que le spectateur soit fasciné par les personnages truculents que Scorsese montre ; cela n'est pas grave en soi : le problème est que Scorsese ne place jamais le spectateur en position de s'interroger sur cette fascination. Un cinéaste comme Haneke nous montre des situations ou des personnages violents, dérangeants, pour lesquels on peut avoir de l'attirance, sinon de la sympathie : il y a dans Funny Games une certaine fascination du spectateur ; mais Haneke renverse cette fascination pour que nous nous interrogions sur notre rôle, sur nos désirs de spectateurs. 



Scorsese ne fait jamais ça : son cinéma n'a aucune fonction critique, pas plus, je l'ai dit, qu'il ne décrit véritablement des univers. Ce n'est finalement qu'un pur cinéma de divertissement, à placer au même rang que Quentin Tarantino, par exemple (et d'ailleurs certains dialogue du Loup de Wall Street semblent s'être échappés d'un script de Tarantino) ; cela ne le disqualifie pas pour autant : le problème est qu'il s'agit du même film de divertissement que Mean Streets, que les Affranchis et, surtout, que Casino, et que Martin Scorsese, tout occupé qu'il est à nous étourdir d'images virtuoses, accompagnées d'une bande-son assez fantastique (quoiqu'il ne me semble guère difficile de plaquer des hits déjà existants sur des images), enivré de son habileté, oublie simplement de nous dire quoi que ce soit avec ses films. 
Regardez donc Le loup de Wall Street, puis faites la comparaison avec Wall Street : vous trouverez les mêmes éléments : l'ambition, l'argent, le pouvoir, les femmes, l'ascension, l'excès, puis la chute - en somme, tous les éléments d'une bonne tragédie - ; la seule différence étant qu'Oliver Stone nous livre une oeuvre intelligente, protéiforme, ambiguë, avec des personnages riches qui ont plusieurs facettes, qui hésitent, qui doutent, qui évoluent, là où Martin Scorsese pond une oeuvre à sens unique, qui va uniquement là où on l'attend.

Enfin, je ne saurais trop vous conseiller, si vous êtes adeptes de crises financières et de tourments moraux, de regarder Margin Call, sorti en 2011, qui aborde la même problématique, à propos cette fois de la crise de 2007. Là encore, film intelligent, qui dépasse son seul sujet pour nous livrer une riche partition - convictions, tergiversations, compromissions, au-delà de tout manichéisme.
(Je tiens à préciser qu'il n'y a nul besoin de connaissances particulières pour comprendre ces films qui ne sont bien évidemment pas des œuvres de théorie économique). 

 




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