mardi 23 octobre 2012

Le métier de musicologue

                                         Concerto di Giovani, Caravaggio, 1595


Voici une courte synthèse de l'article "Le métier de musicologue", extrait de Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol 2 : les savoirs musicaux.(1) L'auteur, Margaret Bent, réunit ici les différentes composantes et orientations de la musicologie, en questionnant la connaissance du fait musical. La musicologue anglaise a choisi d'articuler son propos en cinq temps, en épousant assez fidèlement l'évolution chronologique du métier de musicologue.

Le choix du titre laisse penser à une volonté, pour l'auteur, de présenter, sinon d'expliquer un métier méconnu du grand public : qu'est ce qu'un musicologue ? À quoi un musicologue consacre-t-il son énergie et son temps ? Autant de questions qu'en tant qu'étudiant en musicologie, j'avoue m'être moi-même posé à maintes reprises. Dans un premier temps, c'est le mot même de musicologie qui retient l'attention de Bent : pourquoi avoir opté pour le suffixe -logie, généralement associé à une connaissance scientifique, pouvant même évoquer, chez certains, une emphase presque indigeste ? Ne pourrait-on pas, comme elle le suggère, déceler dès le choix de ce suffixe à connotation savante, une volonté, pour la musico-logie, de se distinguer des autres disciplines ? Les domaines consacrés à l'étude des beaux-arts ne peuvent, par exemple, se pâmer devant un suffixe aussi prestigieux. Bent nous explique ensuite que le terme de musicologie, apparu pour la première fois en français, à la fin du XIXe siècle, a été adopté et diffusé par les auteurs américains, après la Première Guerre mondiale. C'est donc principalement au XXe siècle que la musicologie s'est développée, en tant que science indépendante : si elle était par le passé réduite avant tout à l'étude historique de la musique, elle a su par la suite progresser et s'ouvrir à d'autres horizons. À l'instar de Margaret Bent, on peut certainement admettre qu'intrinsèquement, la musicologie, en tant que domaine d'études aussi tardivement reconnu, ait ressenti un besoin de légitimité, d'approbation « académique », de « crédibilité et (de) respectabilité ». En somme, on comprend que la musicologie ait cherché à ne plus être traitée comme une annexe, une sous-ramification des champs d'études nobles (philologie, histoire de l'art, philosophie, littérature...), mais ait plutôt aspiré à devenir une discipline académique indépendante. Dans la suite de son article, Bent évoque les multiples évolutions de l'étude du phénomène musical : depuis son lien ancestral avec l'arithmétique, la géométrie ou encore l'astronomie, à la fin de l'Antiquité, jusqu'à sa professionnalisation, via une accession plus récente au domaine universitaire. Le récit de ce développement illustre à la fois combien la question du fait musical a été l'objet de questionnements et d'études, de tous temps, et combien elle a progressé, par sa capacité à assimiler et à réunir des thématiques aussi variées que la psychanalyse, la linguistique, ou plus récemment l'acoustique, l'enregistrement sonore et l'outil informatique.

En brossant ce rapide portrait de la notion de musicologie, Margaret Bent réussit, dès les premières lignes de son article, à nous sensibiliser à la question centrale de son propos : la musicologie refuse son ancien statut de discipline amatoriale. Certes, elle exige un niveau de formation élevé, un savoir et une méthode spécifiques mais elle reste pourtant prisonnière de son image de dernière arrivée, parmi les autres disciplines universitaires, et souffre incontestablement d'un certain complexe d'infériorité vis-à-vis de ses illustres prédécé-sœurs. C'est bien ce paradoxe qui retient toute l'attention de Margaret Bent, dans ce texte. Selon elle, le musicologue cherche à la fois à s'affirmer dans sa spécificité, tout en restant soumis aux experts d'autres disciplines davantage reconnues, traditionnellement.

Aujourd'hui, la musicologie bien établie, dans toute sa diversité et toute sa vitalité, pourrait être finalement bien placée pour proposer quelques pistes innovantes à d'autres disciplines, au lieu, comme ce fut souvent le cas au siècle dernier, de se contenter de marcher sur leurs traces.

Il s'agit donc bien, pour Margaret Bent, de défendre le statut du musicologue, un métier qui est encore soumis, trop souvent, à bien des attaques : en se professionnalisant, cette discipline s'est ainsi exposée à la colère de certains interprètes et de certains mélomanes, farouchement opposés à toute intellectualisation, à toute approche analytique, à toute tentative de théorisation du champ artistique musical : mais, comme le rappelle l'auteur de cet article, la musique et l'art ne sauraient pourtant se passer de textes explicatifs. Pratique et théorie devraient non pas se concurrencer, mais plutôt se compléter et se nourrir respectivement. Tout l'enjeu du musicologue futur semble tenir, finalement, à sa capacité à ne pas oublier sa spécificité, son essence et son identité propre, tout en tirant profit des multiples compétences que son métier sollicite et qui lui confèrent une polyvalence inestimable.

1.  Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol 2 : les savoirs musicaux, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez, Paris : Actes Sud & Cité de la musique éd., 2004, p. 611-627.

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