vendredi 6 juillet 2012

Efficacité politique de l'art


Que penser de la grande campagne publicitaire développée par la SPA dans le métro parisien ? Nous avions rédigé, il y a quelques mois, une petite réflexion autour de l'exploitation de la misère ; il s'agit d'une problématique fondamentale pour la photographie, et surtout la photographie de rue ou la photographie dite sociale. L'exhibition racoleuse de la misère ne fait habituellement l’unanimité que pour être dénoncée ; surtout dans les cercles du photojournalisme. On renvoie traditionnellement à l'éthique du journalisme, au respect des sujets photographiés, on se distingue noblement du racolage type "Crimes et meurtres".


De même depuis que le journalisme a pénétré les sphères artistiques, la question de la représentation de la misère s'est reposée de plus belle. Ce qui a par exemple amené plusieurs polémiques sur Salgado et les réponses d'Eric Baudelaire notamment. L'art étant l'expression d'une excellence, il n'est pas possible qu'il fasse appelle aux plus bas instincts, aux effets stéréotypés amenant la compassion ou la pitié.


Enfant soldat

 C'est de cela que parle cette photographie de chien, qui n'est pas sans rappeler certaines campagnes contre la violence faite aux femmes ou certaines photos faites sur les enfants soldats, dont le cadrage, l'usage du flou et je dirais la pose du modèle font tout pour nous rappeler une rhétorique de la pitié, notamment les grands yeux brillants qui nous fixent en silence (la présence de ce qui semble être le reflet de la boîte à lumière parasite un peu l'image, mais c'est un détail). Je ne parlerai pas du slogan misérabiliste qui surenchérit sur la photographie. Si l'on peut certainement prendre l'image du chien comme une parodie de la rhétorique compassionnelle des campagnes de sensibilisation susmentionnées (de type "un enfant soldat ne pleure pas...") - ce que j'ai fait au premier abord -, je ne pense pas que ce soit sérieusement le propos.

Sebastiao Salgado
 L'usage de cette symbolique vise à toucher le plus grand nombre, à émouvoir, à faire réagir. Ce qui me fait revenir sur ce que j'ai dit précédemment. De toute évidence, cette rhétorique est la rhétorique la plus efficace, celle qui aura le plus de conséquences dans le monde réel, celle qui produira le plus de réaction politique. Elle parle au plus grand nombre, elle frappe vite et fort, elle marque assez durablement. Les questions que cela soulève sont alors multiples : l'exclusion de cette rhétorique ne signe-t-elle pas l'exclusion de l'art du domaine de la politique ? Le refus de cette efficacité au nom d'une certaine éthique et surtout au nom d'une certaine recherche, d'une subtilité, d'une complexité n'est-elle pas symptomatique de l'incompatibilité de l'art et de la politique ?
Cette photographie est révélatrice des rapports entre l'intelligence et l'efficacité : alors qu'une image plus complexe, plus intéressante, plus belle plaira certainement davantage à un public érudit, celle-ci est indubitablement plus efficace. Cette image est révélatrice du rapport qu'entretiennent les élites cultivées avec le grand public, des jugements d'en haut qui viennent faire autorité sur le goût du peuple.

Ce qui pose, bien sûr, la question de l'art politique et de l'art populaire. Comment peut-on prétendre conjointement, en voyant cette image, qu'une oeuvre d'art peut ou doit avoir une efficacité politique ou qu'une image politique peut ou doit avoir une dimension artistique ?

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire