mercredi 25 avril 2012

Le mouvement dans l'art paléolithique 4/4

Le mouvement dans l'art paléolithique 3/4
            Pélican, Étienne-Jules Marey, vers 1882

            Aujourd'hui, à l'aube du XXIe siècle, l'homme est envahi de représentations visuelles animées. Les mouvements sont toujours représentés avec plus de fidélité et rendus accessibles par la haute définition, les progrès de la 3D et des images de synthèse. Autant dire que le fossé nous séparant des peintures rupestres n'a peut-être jamais semblé aussi grand. Pourtant, sans jamais chercher à renier les analyses proposées par les autres archéologues sur l'art des premiers hommes, M. Azéma réussit à nous donner un éclairage nouveau sur l'art préhistorique. L'hypothèse de la création de figures en mouvement qu'il nous soumet est un questionnement qui n'est en aucun cas  incompatible avec d'autres interprétations. On peut notamment penser à la magie de la chasse, au totémisme ou au chamanisme respectivement évoqués par l'abbé Breuil, Gabriel de Mortillet, et par Jean Clottes dans leurs travaux. M. Azéma imagine que les représentations figurées sur les parois des cavernes servaient peut-être d'acteurs à des récits mythologiques de la tribu. Ou bien la caverne était-elle peut-être pour nos ancêtres un monde imaginaire, une réalité virtuelle, dans laquelle vivait ce bestiaire fictif ? Au delà de la fascination et de l'émotion que nous procure la confrontation à l'art préhistorique, l'auteur salue dans ces représentations la tentative audacieuse de parvenir à restituer l'illusion du mouvement. A. Leroi-Gourhan, avant les recherches menées par M. Azéma, avait déjà souligné l'importance des figures animées dans « L'art pariétal, langage de la préhistoire » : « L'animation, comprise ici comme la traduction d'une action par une figure animée dans une attitude significative, est le seul procédé qui permette de rendre compte du déroulement du temps »[1] Le thaumatrope, un jouet optique dont l'invention est généralement associée au XVIIe siècle, relève par exemple du phénomène de l'animation. Il est intéressant de savoir que M. Azéma a, dans ses travaux, découvert un prototype de « thaumatrope préhistorique », reposant sur le principe d'un dessin représenté de chaque côté d'une rondelle d'os perforée qui, reliée à deux ficelles, pouvait par une action mécanique de rotation figurer un mouvement. Comme si les hommes préhistoriques savaient déjà d'amuser du phénomène de persistance rétinienne. Il convient d'insister sur le fait que la traduction en image du mouvement des êtres vivants est le seul procédé capable de rendre compte du déroulement du temps. En utilisant les notions du juxtaposition ou de superposition pour lire les peinture rupestres, M. Azéma rappelle à notre mémoire des procédés largement utilisés par les artistes de l'époque moderne. Marcel Duchamp, dans son « Nu descendant un escalier » (1912), propose lui aussi une évocation du mouvement par la superposition d'images successives. Le futurisme aborde aussi la représentation d'un geste animé ; c'est par exemple le cas de Giacomo Balla dans « Le vol des hirondelles » (1913), où le peintre restitue par la juxtaposition une volée d'hirondelles tourbillonnantes. Balla recréé ici l'impression de vitesse, de mouvement en peignant ces oiseaux dans un ordre précis, l'un derrière l'autre. Dans son travail, il reprend ce que la chronophotographie avait rendu visible. Dans « La dynamique d'un chien en laisse »  (1912), l'artiste Turinois exploite le procédé de superposition.


                              Dynamisme d'un chien en laisse, Giacomo Balla, 1912

 Quand, en 1878, apparaît la chronophotographie – technique photographique qui permet de prendre une succession de photos à intervalles réguliers permettant d'étudier la décomposition du mouvement de l'objet photographié – il est amusant de constater que le sujet majeur choisi par Eadweard Muybridge est, à l'instar de ses ancêtres préhistoriques, la figure d'un cheval au galop. Lié au développement de la photographie, la naissance du cinéma , dans la seconde moitié du XIXe siècle, repose sur un système d'images éclairées que l'on projette sur un écran. Là encore, le fossé nous séparant de la période préhistorique n'est sûrement pas aussi grand qu'on pourrait le penser : au lieu de projeter une image sur une surface, l'homme préhistorique savait éclairer, au moyen de torches, la surface peinte et on peut supposer que l'illusion d'une animation des figures animales tenait à la vitesse du mouvement de la torche. Comme si toute la grotte ornée prenait vie. Finalement, le travail d'Azéma ne nous rappelle t-il pas à notre condition fondamentale d'humain ? De tous temps, l'être humain a été confronté à un environnement spatial et à une dimension temporelle qu'il cherchait à mieux comprendre. Comme Léonard de Vinci qui en décomposant le vol d'un oiseau, cherchait à maîtriser le mouvement de son projet de machine volante, l'homme préhistorique tentait lui aussi de s'approprier les mouvements de son milieu. En essayant d'animer la course d'un cheval sur les murs d'une grotte, n'était-il pas aux prises avec l'impossibilité universelle de maîtriser les notions de temps, d'espace et de vitesse ?


                            Course de chevaux à Epsom, Théodore Géricault, 1821

[1] LEROI-GOURHAN André, L'art pariétal, langage de la préhistoire, Jerôme Million, L'homme des origines, Grenoble, 2009, p.324

1 commentaire :

  1. Un ouvrage fameux traite du mouvement dans les arts visuels : "L'art en théorie et en action" de Nelson Goodman.
    Avis aux amateurs.

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