vendredi 16 mars 2012

Sous la menace. Introduction rhapsodique à M. Boulgakov. 1/2

Mikhaïl Boulgakov
Lettre du 28 mars 1930 à Staline
"En analysant le contenu de mes albums de coupures de presse, j'ai découvert que sont parus en URSS 301 articles me concernant ; ils portent sur 10 années de travail. Il y en a 3 d'élogieux, les 298 autres sont hostiles et injurieux."
- Fils de pute
- Éboueur
- Engeance néo-bourgeoise qui crache ses jets de salive empoisonnés mais impuissants sur la classe ouvrière et ses idéaux communistes.
- Antirévolutionnaire.
- Sale blanc.
"Ainsi les organisations qui se sont vu confier le travail du répertoire ont œuvré à démontrer avec une véhémence peu commune que les œuvres de Mikhail Boulgakov ne peuvent exister en URSS."
- En est témoin le terme de boulgakoverie devenu synonyme de contre-révolutionnaire et esprit néo-bourgeois.
"Je déclare à mon tour que la presse soviétique a PARFAITEMENT RAISON.
JE PRIE LE GOUVERNEMENT DE L'URSS DE ME DONNER L'ORDRE DE QUITTER DANS LES MEILLEURS DÉLAIS LE TERRITOIRE DE L'URSS.
EN URSS, TOUT AUTEUR SATYRIQUE PORTE ATTEINTE AU RÉGIME SOVIÉTIQUE.
Suis-je pensable en URSS ?" (1)
*
A partir de 1929, Mikhail Afanassievitch Boulgakov écrit comme dans un dernier recours de nombreuses lettres au gouvernement et à Staline en particulier. Il y dénonce ses conditions de vie et de travail catastrophiques. La première lettre lui permettra d'obtenir un poste au Théâtre d'Art de Moscou, les autres réclamant son départ à l'étranger resteront sans réponse. On trouve ici un thème fondamental de l’œuvre de Boulgakov, à savoir le rapport de l'artiste à la société et plus précisément au pouvoir. L'écriture de la vie de Molière traduit son intérêt pour la relation entre l'écrivain et Louis XIV. De même, ses lettres à Staline font écho à la correspondance entretenue entre Pouchkine et Nicolas I. Enfin, ce thème irrigue tout le chef d’œuvre de Boulgakov, Le maître et Marguerite.
*
"De quoi avons-nous besoin ? Nous sommes apolitiques. Nous sommes l'art !" (2)
Dans les Écrits sur les manchettes, on retrouve des éléments autobiographiques des années de misère au début de sa carrière. Sa vision de l'art s'affirme déjà nettement et on aperçoit un écrivain très conscient de sa condition d'artiste et de son rôle dans la société.
DES PETITS ENFANTS DANS UNE BOÎTE
"La lune est dans un halo. Iouri et moi sommes assis sur le balcon et contemplons le rideau des étoiles. Mais pas de soulagement. Dans quelques heures les étoiles s'éteindront et au-dessus de nous s'embrasera la sphère de feu. Et de nouveau nous crèverons, comme des scarabées embrochés sur une épingle.
Par la porte du balcon nous parvient un pépiement aigu et ininterrompu.
Au diable vauvert, au pied des montagnes, dans une ville inconnue, dans le réduit d'une chambre de poupée, chez le famélique Sliozkine un fils est né. On l'a mis sur le rebord d'une fenêtre dans une boîte marquée :
Mme Marie. Modes et Robes.
Et il pleurniche dans sa boîte.
Pauvre bébé !
Ce n'est pas le bébé, c'est nous qui sommes pauvres !
Les montagnes se sont refermées sur nous. La montagne de la Table dort sous la lune. Loin, loin, au nord, des plaines sans fin... Au sud - gorges, crevasses, torrents impétueux. Quelque part à l'ouest - la mer. Au dessus d'elle brille la Corne d'Or...
... Avez-vous vu les mouches sur le tangle-foot ?
Quand le piaillement s'apaise nous rentrons dans la cage.
Des tomates. Du pain noir, pas beaucoup. Et de l'arak. Quelle gnôle infâme ! Une abomination ! Mais on la boit, et ça va mieux.
Et lorsque tout dort alentours d'un sommeil de mort, l'écrivain me lit son nouveau roman. Il n'y a personne d'autre pour l'entendre. La nuit flotte. Il termine, roule soigneusement son manuscrit et le glisse sous son oreiller. Il n'y a pas de table pour écrire.
Jusqu'au petit jour blême nous chuchotons.
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C'est de la souffrance que naît la vérité. C'est vrai, soyez tranquille ! Mais la connaissance de la vérité, on ne vous la paie ni en argent ni en rations. C'est triste, mais c'est comme ça." (3)
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(1) Lettre du 28 mars au gouvernement de l'URSS traduite par Marianne Gourg in Écrits autobiographique, Babel, p.273 et sqq.
(2) Écrits sur les manchettes, trad. Paul Lequesne, ibid p.89
(3) ibid p.97
A suivre

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